C’est dans le superbe édifice parisien du Collège catholique des Bernardins, fondé au 13è siècle sur le modèle des abbayes cisterciennes, que s’est tenue la cérémonie de remise de médaille de Juste parmi les Nations à Gitta Mallasz, à titre posthume. Ce fut l’occasion de découvrir une histoire ignorée jusque-là: le sauvetage en décembre 1944 à Budapest, de plus de cent femmes et enfants juifs hongrois. Ce lieu de recherche, d’enseignement et de dialogue a parfaitement rempli sa mission, dimanche 13 mai 2012, en raison du courant spirituel auquel se rattachaient Gitta Mallasz et les très nombreux disciples qu’elle inspira par la suite tout au long de sa vie, en France et dans le monde.
Après l’accent mis par le Président des Bernardins, Monseigneur Jérôme Beau, sur l’importance de transmettre la mémoire de la Shoah, les valeurs de l’amitié et l’exemple du courage, Jean-Raphaël Hirsch, Président du Comité français pour Yad Vashem, tint à rappeler l’importance du travail d’histoire et de mémoire accompli par l’Institut de Jérusalem, puis le sens général de ces cérémonies d’hommage, à la fois éducatif et moral. Il insista sur le courage exceptionnel de cette jeune femme, rappela, en effet, le très petit nombre de Justes hongrois (791) et expliqua que cette cérémonie se tenait en France car Gitta, après avoir fui la Hongrie communiste en 1960 et choisi comme deuxième patrie la France, s’y était rendue célèbre à la suite de la publication d’un livre «le Dialogue avec l’Ange », et s’y était éteinte en 1992. Il remercia M. Imre Boc et Monique Guillemin grâce auxquels les témoignages de l’action de Gitta furent rassemblés et transmis à Jérusalem, et exprima l’espoir que cet hommage puisse également se dérouler ultérieurement en Hongrie.
Nicolas Roth, membre du Comité français, déporté de Hongrie à 16 ans, exposa ensuite, dans une intervention à la fois émouvante et précise, le contexte historique de la Hongrie, et sa déportation : l’antisémitisme qui sévissait dans une Hongrie alliée à l’Allemagne nazie, l’impréparation totale et la vulnérabilité des Juifs hongrois jusque-là particulièrement bien intégrés à la société, et les événements précis qui conduisirent à sa déportation, en juin 1944, avec ses parents et sa sœur, gazés dès leur arrivée à Birkenau. Il rappela comment, de mars à juillet 1944, les nazis, conduits par Adolf Eichmann, avaient envahi la Hongrie, regroupé avec l’aide des gendarmes hongrois 437 000 Juifs de province dans des ghettos, puis les avaient déportés. En juillet 1944, c’était au tour des 150 000 Juifs de Budapest d’être parqués dans le ghetto, assassinés sur les bords du Danube ou déportés par les nazis secondés par les miliciens fascistes hongrois, les terribles « Croix Fléchées ».
Anne-Marie Revcolevschi, membre du Comité français et également Présidente du projet Aladin, présenta alors les grandes lignes de la vie et de la personnalité de Gitta Mallasz, soulignant son appartenance initiale à une famille de la haute bourgeoisie hongroise classique : nationaliste de droite, antisémite et proche du nazisme, mais aussi son tempérament indépendant, rebelle et intrépide. Elle précisa les conditions du sauvetage qu’elle organisa ensuite, citant notamment le récit qu’elle en avait elle-même fait dans « le Dialogue avec l’Ange », suite d’entretiens philosophiques et spirituels menés chaque semaine de juin 1943 à novembre 1944 avec ses deux très grandes amies juives Hannah Dallos et Lili Strausz, et publié en France en 1976 : lorsque le mari d’Hanna est enrôlé pour le travail forcé en avril 1944, puis déporté en juin, Gitta comprend qu’il lui faut sauver ses amies. Elle rebondit alors sur une proposition du Père Klinda, prêtre catholique de Budapest d’un remarquable courage qui lui propose de diriger, dans un couvent placé sous la protection du Nonce apostolique, Monseigneur Rotta, et de quelques officiers Résistants, un atelier de confection militaire travaillant pour les SS, et dans lequel une centaine de femmes et d’enfants juifs, sortis du ghetto, vont pouvoir se réfugier et travailler. Elle organise aussi, à l’avance, les conditions d’une fuite possible, en cas de rafle. Ainsi, quand en décembre 1944, les Croix Fléchées, ayant compris la supercherie, investissent le couvent avec un ordre de déportation, la plupart des femmes réussissent à s’enfuir sauf quatorze d’entre elles, parmi lesquelles Hannah et Lili, qui refusent d’abandonner Gitta à une mort qu’elles pensent certaine ; ces seize femmes seront envoyées à Ravensbrück, une seule en reviendra, Eva Langley Danos, qui fera le récit de leur mort dans «Le dernier convoi», paru en 2012 aux éditions Albin Michel. Anne-Marie Revcolevschi conclut cet hommage à Gitta en exprimant l’espoir que « les ténèbres du passé ne soient pas de retour en Hongrie aujourd’hui ».
L’Ambassadeur de Hongrie, Laszlo Trocsanyi, après avoir souligné l’immense apport des Juifs hongrois à son pays, et dénoncé fermement les mesures d’antisémitisme et de spoliation dont ils furent les victimes, leur déportation et leur anéantissement, rappela que «cette responsabilité doit être partagée par tous les Hongrois. Comme la Shoah fait partie de l’histoire du pays, la conscience nationale hongroise ne pourra plus éviter de faire face à ce lourd héritage déshonorant ». Il conclut en considérant que « la barbarie nazie, l’holocauste, la persécution et l’extermination des Juifs appartiennent désormais à l’histoire. Moi personnellement je suis convaincu qu’il en est ainsi définitivement et que le processus est irréversible. Mais nous ne devons pas ignorer que le mal, le virus de l’intolérance et de l’antisémitisme sévissent toujours, et il faut mener un combat permanent et acharné pour tuer le monstre dans l’œuf. La mémoire de plusieurs centaines de milliers de martyres hongrois, juifs et non-juifs, ainsi que l’héroïsme de Gitta Mallasz et des autres Justes parmi les Nations, nous obligent à être vigilants ».
Après la projection d’un court film montrant le retour de Susan Kevin dans l’atelier de confection où enfant, elle fut cachée avec sa mère, sa fille Dorit Zak, venue de Londres accompagnée de son fils Alexandre, arrivé d’Australie, témoigna de sa profonde reconnaissance envers Gitta.
Le Ministre plénipotentiaire de l’Ambassade d’Israël, Samuel Ravel, remit alors la Médaille des Justes à Andréa Mallasz, petite-nièce de Gitta venue de Budapest, qui exprima son admiration pour sa grand-tante avant que ne retentissent la Hatikva et l’Hymne européen en l’honneur de cette femme d’exception.
Parmi l’assistance, comprenant un grand nombre d’amis et de fidèles de Gitta Mallasz et de membres du Comité français pour Yad Vashem, notamment ceux qui ont travaillé sur ce dossier, citons quelques-unes des personnalités présentes : René Roudaut, ancien Ambassadeur de France en Hongrie, plusieurs membres de l’ambassade et du consulat de Hongrie, Richard Prasquier, Président du CRIF, Jean Moutappa, directeur aux éditions Albin Michel, Magda Hollander-Lafon, déportée de Hongrie à seize ans et auteur des «Quatre petits bouts de pain», le Père Antoine Guggenheim, le chanteur Michel Jonasz, l’actrice Juliette Binoche……
L’une des dimensions particulière de cette cérémonie fut indéniablement un sentiment de communion des très nombreux amis venus de France et de l’étranger honorer Gitta Mallasz, dont les derniers mots, écrits sur le faire-part de sa mort qu’elle avait elle-même rédigé avant d’ordonner que ses cendres soient dispersés dans le Rhône, furent les suivants:
«nous avons tous une tâche à accomplir… sinon nous aurons vécu en vain».